2 novembre 2009

Comment j'ai retrouvé certains tableaux de Raymond Roussel

Je referme le Raymond Roussel de François Caradec. A ceux qui ne l'ont pas encore lu, vous pouvez y aller, c'est indépassable ! On n'écrira jamais rien de plus précis et de plus documenté sur l'auteur d'Impressions d'Afrique et de Locus Solus.

On y apprend par exemple que Raymond Roussel avouait volontiers "que la peinture l'ennuyait et qu'il n'y connaissait rien". Ses goûts étaient des plus classiques. Il a cependant été amené à acheter des tableaux à quelques uns de ses jeunes admirateurs surréalistes (Masson, Miro et Ernst), tableaux dont on aurait malheureusement perdu la trace : "Que sont-ils devenus ? Ont-ils échoué aux puces ? Leur nouveaux propriétaires connaissent-ils leur origine ? Sont-il encore oubliés dans une caisse au fond d'un garde meuble ?" (page 256).

Le petit internaute de 2009 a un avantage sur l'érudit des années 90 (la bio est parue en 1997), c'est qu'il dispose d'un outil surpuissant de recherche. Mettons-nous donc en quête de ces tableaux perdus.

La bougie allumée - André Masson - 1924
Mars 1924 : Michel Leiris entraîne Raymond Roussel dans l'atelier d'André Masson. "Il achète une nature morte dont il apprécie la "transparence"; c'est en fait un assemblage d'objets éclairés par une bougie allumée en plein jour où les verres (et leur transparence) jouent un grand rôle." (page 257)


On peut voir dans le Catalogue en ligne de la vente Sothebys du 5 novembre 2008, portant le numéro 182, une huile sur toile d'André Masson datant justement de 1924 et que je vous propose de comparer avec la description de Caradec. Si ce n'est pas la toile de Roussel, c'est vraiment sa jumelle ! Notons au passage qu'elle est plutôt d'inspiration cubiste. Décidément, Raymond Roussel n'aurait pas fait un bon surréaliste !
Où se trouve ce tableau aujourd'hui ? Apparemment il n'aurait pas trouvé preneur (estimation 250 à 350.000 $). La provenance indiquée est la Galerie Cazeau-Béraudière à Paris. Il est donc très probablement toujours en France et ses propriétaires semblent tout ignorer de son illustre premier propriétaire.

Le Rossignol Chinois - Max Ernst - 1920



En 1926, galerie Van Leer, rue de Seine : "Un après-midi, alors que Max Ernst est seul dans la galerie, un amateur intrigue le peintre par la curiosité avec laquelle il examine les tableaux exposés; en s'excusant de son indiscrétion, il demande si l'artiste n'emploie pas certains procédés techniques particuliers, et se fait expliquer sa "procédure". Et Roussel, qui prend le peintre pour un employé de la galerie, s'adresse à la secrétaire et achète Le Rossignol Chinois, qui date de 1920. C'est seulement après son départ que Max Ernst apprend le nom de l'acheteur" (page 316). Caradec note que l'on connaît des reproductions de cette oeuvre mais, pour ce qui concerne l'original ayant appartenu à Roussel " il semble en tout cas avoir définitivement disparu."

J'ai retrouvé Le Rossignol Chinois dans les collections du Musée de Grenoble. Ce musée ne serait-il d'ailleurs pas bien inspiré en se portant acquéreur du Masson ? Ainsi les deux œuvres ayant appartenu à Raymond Roussel seraient à nouveau réunies et pourraient être exposées côte à côte.

Perdus de vue

Reste à localiser l'oeuvre de Juan Miro achetée vers 1925 mais là Caradec ne donne aucun indice. Il faudrait se replonger dans les écrits de Leiris. Mais je suis confiant. Pas plus qu'on ne perd un Masson ou un Esnst, on ne jette à la poubelle un Miro.

Et puis Il y a ce tableau, de facture moins avant-gardiste mais tout aussi passionnant, datant probablement de 1926 et signé Henri-Achille Zo. "C'est vraisemblablement à la même époque que Raymond Roussel fait exécuter au peintre Henri Zo une toile signalée par Michel Leiris, dont la moitié représente la "bataille d'Hernani" et l'autre la salle du Vaudeville lors de la première de l'Etoile au Front; sur une plaque de cuivre, en bas du cadre, est gravée la réplique de Robert Desnos : "Nous sommes la claque et vous êtes la joue." Qu'est devenu ce tableau que Leiris disait avoir vu à Neuilly ?" (page 283).

Au moins, la description est précise. Je n'ai rien vu y ressemblant sur Internet. L'enquête s'annonce difficile. La toile ci-dessous vous donnera une idée du style d'Henri Zo. Ce sont les Folies Bergère et c'était il y a encore peu à vendre à la Papillon Galery de New York.


Roussel retrouvera Henri Zo en 1932. Il lui commandera les 59 illustrations des Nouvelles impressions d'Afrique. Caradec évoque une chemise dans laquelle ces dessins à l'encre de chine sont réunis mais sans préciser où elle est conservée (page 365). Rien à la Bnf. Mais peut-être ai-je mal cherché ou bien ces dessins sont-ils mal référencés.

*****
Raymond Roussel
par François Caradec
Editions Fayard 1997

11 octobre 2009

Malraux en Haïti, vaudou à Paris

Pas à dire, le Musée du Montparnasse ne paye pas de mine. Pour vous y rendre, il vous faudra quitter l'avenue du Maine juste avant qu'elle ne devienne cet épouvantable tunnel troué sous la dalle Montparnasse et vous engager dans une paisible impasse verdoyante qu'on devine colonisée par les bobos. Soudain des pavés, de la vigne vierge, des moineaux qui gazouillent et bientôt une créole en tôle qui vous signale la petite porte du musée. C'est là que, jusqu'au 19 novembre, se tient l'exposition "Le dernier voyage d'André Malraux en Haïti - La découverte de l'art Vaudou".

Je ne pense pas exagérer en disant que Haïti est à la peinture ce que sa voisine la Jamaïque est à la musique. Un miracle. Ce petit bout de Caraïbe a enfanté des dizaines d'artistes merveilleux : des naïfs et des visionnaires, des faiseurs et des bruts, des peintres et des sculpteurs. Pour des raisons qui m'échappent encore, ces artistes restent peu connus du grand public et sont pour la plupart ignorés du marché de l'art. Même le musée du Quai Branly fait le service minimum. Lorsque je l'ai visité, il y avait une vitrine avec quelques objets de culte vaudou et trois ou quatre tableaux. Rien à voir par exemple avec l'espace consacré à la peinture aborigène.


Comme Haïti ne déplace pas les foules, les commissaires doivent à chaque fois se creuser la tête pour trouver une astuce qui attirera le chaland à leur exposition. Cette fois-ci le prétexte est André Malraux. A juste titre d'ailleurs puisque Malraux est avec André Breton le seul grand intellectuel à avoir défendu la peinture haïtienne en France. En 2000, pour l'exposition Anges et Démons, la Halle Max Fourny avait mis le roi de la FIAC sur l'affiche. Il faut dire que le père de Jean-Michel Basquiat était haïtien (sa mère était portoricaine) et qu'ils avaient trouvé une toile sur laquelle il avait écrit le mot "Haïti". L'intention était louable mais tout ça était un peu tiré par les cheveux.

L'exposition du musée du Montparnasse est sous titrée "la découverte de l'art Vaudou" (bien qu'une bonne partie des oeuvres présentées soient sans rapport avec le Vaudou). On le sait, Haïti est la terre du Vaudou. Il imprègne les mentalités. On le retrouve donc à des doses plus ou moins concentrées dans les productions des artistes locaux. Des loas, des sirènes, des zombies, des hougans et, mon préféré entre tous, le baron Samedi qui est une sorte d'Ankou tropical.

Cet aspect de la peinture Haïtienne avait particulièrement frappé Malraux. En 1975, il avait visité la communauté Saint Soleil à 50 kilomètres de Port-aux-Princes. Deux peintres professionnels y avaient établi leur atelier et avaient eu l'idée de faire peindre des paysans de la région. Ils avaient mis à leur disposition du matériel mais ne leur avaient prodigué aucun conseil. Ces paysans ne connaissaient que la vie des campagnes et le vaudou. C'est ce qu'ils peignirent. Le résultat stupéfia à ce point Malraux qu'il parla de "l'expérience la plus saisissante et la seule contrôlable de la peinture magique du XXe siècle". Certains de ces paysans sont devenus des peintres reconnus et, assez logiquement, on en retrouve quelques uns au Musée Montparnasse comme Prospère Pierre-Louis (dont une peinture de 1974 est exposée), Dieuseul Paul (photo ci-dessous) ou Louisianne Saint-Fleurant.


Un mot pour finir sur deux peintres exposés que j'aime particulièrement. L'accrochage ne comprend qu'une seule toile du vétéran Préfète Duffaut (né en 1923). C'est bien dommage car ses cités imaginaires sont vraiment incroyables. Vous pouvez en voir quelques exemples sur le site du centre d'art Espace Loas (et même en acheter une). Avec Frantz Zéphirin (né en 1963) la relève est là. Il expose une immense toile pour ainsi dire psychédélique. Je ne l'ai pas prise en photo mais vous pouvez la voir sur le blog Le Poignard Subtil.


*****
Le dernier voyage d'André Malraux en Haïti
Musée du Montparnasse
21 avenue du Maine - Paris 15e
Jusqu'au 19 novembre

30 septembre 2009

Les voyages extraordinaires de Pierre Keime



J'ai découvert ce week end un artiste pas du tout ordinaire. Comme chaque année, les artistes du 15e arrondissement ouvraient les portes de leurs ateliers au public. Quelques stands avaient été aménagés à l'entrée du parc Georges Brassens. On ne pouvait pas rater celui de Pierre Keime. En tout cas, moi, je ne l'ai pas manqué.

Des dizaines de dessins étaient exposés sur de grands panneaux en carton. Ou plutôt des photocopies de dessins car Pierre Keime conserve précieusement les originaux à son domicile qui est selon ses propres mots un vrai musée.

Pour la plupart, ces dessins font partie de séries qui racontent de grandes épopées tout droit sorties de son imagination. Ici des conquistadores en train d'en découdre avec des indiens. Là des guerriers arabes livrant bataille à de féroces mongols. Dans un registre plus léger, pas mal d'amazones chevauchant nues des licornes. Quand elles ne sont pas elles-mêmes flagellées, elles tyrannisent de pauvres mâles ou bien prennent du bon temps sur des plages de sable fin.

Nous avons un peu discuté. Pierre Keime se voit comme une sorte de médium qui rapporterait de mondes parallèles ces visions fantasmatiques. Il est très inspiré par ses rêves. Il en fait d'ailleurs des prémonitoires. Il est aussi sculpteur. Il m'a montré de petits aztèques en cire sculptés avec beaucoup d'habileté. Il me semble que nous avons affaire à un artiste véritablement singulier qui devrait intéresser autant les amateurs d'art brut que ceux de bandes dessinées hors normes. Ses épopées silencieuses feraient certainement de très beaux livres.




Pour rencontrer Pierre Keime, il suffira de vous rendre aux journées Georges Brassens qui se tiendront les 10 et 11 octobre toujours au parc Georges Brassens. Pour l'occasion, il a réalisé un album de dessins basés sur les chansons du grand Georges. C'est son deuxième. Il en avait édité un premier il y a bien longtemps, en 1984, à compte d'auteur qui s'appelait Essai. C'était une BD. C'est pourquoi il est mentionné dans le BDM ce dont il est très fier bien qu'il redoute qu'on l'en retire un jour ou l'autre. Son stock étant loin d'être écoulé, il le propose encore à qui en veut pour quelques euros.

****

Pierre Keime
Artiste Libre Sculpteur
aux journées Georges Brassens
Parc Georges Brassens - Paris 15e
Les 10 et 11 octobre 2009

21 septembre 2009

Can I go to Ceret ? - Pascal Comelade

Jusqu'au 31 octobre on peut visiter au musée d'art moderne de Ceret (Roussillon) l'exposition "Ceret, un siècle de paysages sublimés". Ceret a longtemps été à la peinture ce que Johnny B Good est au rock, un standard. Ses toits, son pont, le Canigou (mais assez peu ses habitants) ont été croqués par une flopée de kadors de la palette. L'exposition réunit quelques dizaines de ces toiles, l'ensemble composant un ensemble assez impressionnant. Dans le désordre : Soutine, Kisling, Duffy, Juan Gris, Picasso, Braque, Max Jacob, Masson et bien d'autres plus ou moins connus du grand public.

Comme souvent dans ce genre de rétrospective, la gêne commence à s'installer quand les commissaires, voulant sans doute démontrer que le miracle continue, décident d'exposer à la suite des génies sus cités les monumentales productions d'artistes contemporains de seconde division. C'est extrêmement bizarre : notre époque ne manque pas d'artistes passionnants. J'ai encore pu le vérifier pas plus tard que la semaine dernière à la galerie Art Factory où étaient exposés les dessins de l'énigmatique Ludovic Debeurme. Mais assez curieusement, ces artistes sont rarement ceux qu'on voit dans les musées d'art contemporain.


Je commençais à m'ennuyer un peu lorsque, au détour d'un couloir, alors que je pensais que l'expo était terminée, je tombe sur une silhouette du mont Canigou aux flancs couverts de textes. Un tableau lettriste ? Isidore Isou passait aussi ses vacances à Céret ? Coup d'oeil sur l'étiquette : ça s'appelle Can I go to Canigo ? et c'est une oeuvre du fameux musicien Pascal Comelade !!! Pascal Comelade au pinceau ? Lui d'habitude si peu bavard dans sa musique (quasiment que des instrumentaux), le voici contant par le détail quelques hauts faits survenus dans son village, Vernet les Bains, et dans ses environs : l'accident tragique de Maillol, la visite de Dali, la première ascension cycliste du Canigou ou encore l'affaire du chameau offert au casino par le pacha du Caire. Un peu peinture (le Canigou), de longs textes griffonnés en catalan et pas mal d'objets et d'images collés ici et là. Il doit s'agir d'un accrochage de dernière minute car Pascal Comelade n'est cité ni dans le catalogue ni dans même sur le site internet du Musée.

N'écoutant que mon courage j'ai bravé tous les interdits et pris pour vous quelques photos. En moins de deux, j'avais un gardien sur le dos exigeant que je les écrase. Comme vous le constatez, j'ai quand même réussi à en sauver une ou deux. J'ai donc filé comme un voleur sans demander mon reste. A peine sorti dans la rue, je suis tombé sur Pascal Comelade, en chair et en os, attablé à la terrasse du bistro jouxtant le musée. Le genre de coïncidence troublante dont Jonathan Coe tirerait 600 pages et un best seller.

Décidément Pascal Comelade est en train de devenir l'inconnu qu'on voit partout. Sa collection d'instruments jouets est en ce moment même exposée au Musée des arts décoratifs (j'en ai parlé sur ce blog il y a quelques semaines). On annonce pour les jours qui viennent un nouvel album et, les 15 et 16 octobre prochains, il jouera au Centre Pompidou.

Autant dire qu'on a pas fini d'en parler.


****

Céret, un siècle de paysages sublimés
Musée d'art moderne de Céret
Jusqu'au 31 octobre 2009
http://www.musee-ceret.com/

16 septembre 2009

El Bicho Raro - Les Shadocks en Espagne

Saviez-vous qu'il existait à Valence un restaurant à la gloire des Shadocks ? Ça s'appelle El Bicho Raro ce que je crois pouvoir traduire par La Bête Rare (ou peut être L'Oiseau Rare ce qui au fond serait plus logique). J'aime beaucoup les Shadocks. Ces bestioles stupides sont de magnifiques inventions pataphysiques. Je me suis toujours demandé comment Jacques Rouxel, leur créateur, avait fait pour vendre un projet aussi farfelu à l'ORTF. Comme quoi il ne faut jamais partir perdant.

Dès son lancement en 1968, le succès de ces petits films d'animation a été immense. Il faut dire que les Shadocks symbolisaient à merveille tout ce avec quoi on voulait en finir à l'époque. La mesquinerie, les usines à gaz, le travail à la chaîne... Les ennemis des Shadocks, les Gibis, ne valaient pas tellement mieux mais, comme leur nom l'indique, ils avaient un petit côté britannique qui, en pleine beatlemania, les rendaient plus sympathiques.

Mais revenons au Bicho Raro. Quand je suis passé devant au mois d'août, il était fermé. Ce qui m'a permis d'admirer, sur le rideau métallique, un superbe Shadock en haut de forme. Au dessus de la porte d'entrée, des carreaux sur lesquels ont été peints plein de jolis petits Shadocks. Je ne prends aucun risque en disant que les tenanciers manifestent ainsi une francophilie des plus pointues. Ce qui est bien la moindre des choses puisque le Bicho Raro est un restaurant (bistro !) français. Sur le city blog Hola Valencia, on peut voir des photos des plats servis. Ça n'a pas l'air mauvais. Il faudrait que quelqu'un teste et nous dise.


****
El Bicho Raro
Calle Conde de Montornes 9
46003 Valencia
Tel : 96 392 49 20

7 août 2009

Summer of the 80's

Cet été, Arte nous concocte une programmation spécial 80's. Ca se passe le mardi et le jeudi. Comme je ne regarde pas beaucoup la télé, je ne pourrai pas en dire grand chose mais, au vu du programme, c'est dans l'ensemble un florilège de ce que l'époque a produit de plus mauvais. D'ailleurs les pages consacrées à l'émission sur le site d'Arte l'explique bien : "On perçoit trop souvent ces années comme un mélange de mauvais goût vestimentaire, d’abandon idéologique et de règne de l’argent roi". Et pour bien enfoncer le clou dans le cercueil de ces années paillettes et fric, Arte Editions sort un produit dérivé de l'émission (sic), un album de BD où sont réunies les visions des eighties d'une quinzaine de représentants plus ou moins confirmés du 9e art.

Autant dire que dans la plupart des cas c'est consternant. On a droit à une série de clichés déjà vus et entendus mille fois ailleurs. Les gens étaient tous mal fringués (épaulettes), mal coiffés, la musique était nulle (Jeanne Mas), etc. C'est aussi idiot que si on résumait les années 2000 à Roselyne Bachelot et aux poufs de la télé-réalité. Ou les années 70 à Guy Lux et aux Sous-Doués. Pour se donner une idée du niveau, il faut voir ce strip qui figure sur la page qui ouvre l'album. Pauvre Oncle Paul, ce manifeste est signé Emile Bravo et c'est épuisant.



Tous ces besogneux qui débitent leur prêt à penser sont d'autant moins excusables que, pour ce qui est de leur domaine, la BD, les années 80 ont été particulièrement fertiles. Il suffit de se reporter aux sommaires des revues de l'époque : Métal Hurlant, l'Echo des Savanes (dans ses diverses formules), (A Suivre), Viper ou à l'étranger el Vibora ou Raw. Sans parler des éditeurs : Humanoïdes Associés, Futuropolis, Magic Strip, Artefact. N'en jetez plus ! Que trouveront-ils bien à dessiner sur les années 2000 !

D'ailleurs les promoteurs de ce projet ne s'y sont pas trompés. Ils ont habillé leur méfait d'une superbe couverture signée Serge Clerc dont le style, à la fois ligne claire et rock, est si emblématique de ces années. Évidemment, ça a plus d'allure que les singeries d'Emile Bravo.


En plus de la couverture, le légendaire dessinateur espion livre ici quelques planches qu'on jurerait avoir été dessinées pour servir de bonus à la version deluxe de son album Le Journal. En fin observateur, Serge clerc a bien remarqué que le mouvement esthétique qui avait dominé les années 80 prenait ses racines dans la fin des années 70. Il fait donc débuter son récit en 76, année où il arrive à Paris. Le punk, les clubs, les radio libres. Et la bande son : les Clash, Kid Créole, le ska, les B-52's. Le récit se termine en 1984 ce qui correspond au point d'orgue de la première partie de sa carrière, l'album La Légende du Rock'n Roll. Un âge d'or qui s'étendrait de 1976 à 1984 ? Pourquoi pas. J'ai toujours pensé que la culture pop fonctionnait sur des cycles 11 ans : la moitié en âge d'or, le reste en décadence. 1955 : le rock'n roll, James Dean. 1966 : le Swinging London et les hippies. 1977 : le punk et le disco. 1988 : le rap, l'électro et le grunge. A partir de 1999 ça ne marche plus. En tout cas je ne me suis aperçu de rien.


Alfred & Chauvel signent l'autre contribution vraiment intéressante. Je ne sais pas quel âge ils ont mais eux aussi ont remarqué que la bande son des années 80 ne se limitait pas à Jean-Jacques Goldman et à la princesse Stéphanie. L'occasion de revenir sur les mythiques Specials et leur hit Ghost Town. Une sorte de clip graphique avec en préambule un speaker "Vous vous souvenez ? Eté 1981, en haut des charts, the Specials avec leur chanson Ghost Town. Selon de nombreux musicologues, aucune autre chanson arrivée en tête des hit-parades anglais n'a plus jamais réussi un tel tour de force, celui d'incarner tout à la fois l'état politique, social et économique d'un pays tout entier." Après, une suite d'images légendées avec les paroles de la chanson. Mettez le disque et laissez courir vos yeux. C'est magnifique.

Pour finir, une mention spéciale à l'autre rescapé des 80's au sommaire de cet album (je mets de côté Philippe Paringaux), je veux parler de Jean-Claude Denis qui a réussi à placer des planches qui ne parlent pas des années 80. Bien sûr il y a quelques cases avec un peu de name dropping vintage (Tchernobyl, le sida, Reagan, Tapie, etc.) puis plus rien. Peut être un fond de tiroir retouché pour l'occasion. Ce Jean-Claude Denis est vraiment trop fort !

*****

Summer of the 80's
80 pages
Arte Editions et Dargaud

27 juillet 2009

Tous les beaux joujoux que j'entends en rêve - Musique en jouets

Ceci est le flyer de l'exposition Musique en jouets que l'on peut voir actuellement au Musée des arts décoratifs. Inutile de vous équiper de chaussures de marche, ça se passe dans la galerie des jouets, c'est-à-dire trois salles en enfilade et c'est fini.

C'est l'occasion pour le Musée de sortir de ses réserves un tas de musiciens en bois et d'instruments de poche, tous plus beaux les uns que les autres, mais bien entendu sous vitrines des fois que quelqu'un (ou pire un enfant !) ait l'idée de jouer avec.

Mais ce n'est pas tout. Le site de l'expo nous indique que "Musique en jouets invite également cinq artistes, respectivement musiciens, designers sonores et collectionneurs, pour qui le jouet occupe une place importante dans leur univers, à créer de grandes installations".

On commence donc avec une première vitrine consacrée à la collection d'instruments-jouets de l'éminent Pascal Comelade. Un air de déjà vu pour ceux qui ont eu la bonne idée de se procurer le superbe catalogue édité par le Museu del juguet de Catalunya où ces mêmes jouets avaient été exposés en 2003. On y retrouve donc avec plaisir la guitare en plastique graphée par (entre autres) Willem et Max, un wash board qui, apprend-on en lisant le panneau d'information, appartenait à Ursula et Boris Vian (mazette !) et bien sûr le petit pistolet à baffes qui figure sur le flyer. Tout ce bric-à-brac est réuni sous le titre d'Outils sonoto-luddiques. Sur le site de l'expo, on peut visionner une interview de Pascal Comelade qui donne à ce sujet des explications épatantes.

Ça s'anime avec l'installation Nabaz'mob de Jean-Jacques Birgé et Antoine Schmidtt. Imaginez un choeur wagnérien composé de cents petits lapins lumineux exécutant dans la pénombre une étrange chorégraphie. On dirait des gants de vaisselle à deux doigts, gonflés. Sur leur ventre, des points lumineux s'allument et s'éteignent, changent de couleur. Leurs oreilles montent et descendent. Ils murmurent (bizarre pour des lapins !) un opéra électronique à la John Cage. L'ensemble est tout à fait inquiétant et, n'ayons pas peur des mots, assez fascinant. Pour en savoir plus, cliquez ici.

La troisième vitrine présente la collection de jouets électroniques "vintages" d'un certain Eric Schneider. J'ai surtout remarqué le stylophone, le même que mes parents m'avaient ramené d'un voyage en Angleterre dans les années soixante-dix. Impossible d'oublier la tête de l'inventeur qui bonimente sur l'emballage. Bowie sur le morceau Space Oddity ou Kraftwerk sur Pocket calculator l'ont utilisé. Là aussi c'est chouette mais on écoute avec les yeux. Pour entendre certains de ces joujoux, on peut consulter la bibliothèque de sons que le sympathique propriétaire de la collection a mis en ligne sur son site perso miniorgan.com .

On termine par une installation de Pierre Bastien qui s'est de longue date bâti une réputation avec ses installations sonores en mécano. Ça tourne, ça gratte, c'est assez joli et en plus ça s'écoute. Gros succès auprès des curieux. Bientôt un mécano revival ? Vu le nombre de japonais que j'ai vu prendre la chose en photo, ce n'est pas à exclure.


On quitte l'exposition par une salle remplie de peintures de Jean Dubuffet. Mais que fait donc le gourou de l'art brut au Musée des arts décoratifs ? Il a apparemment fait un don de 150 oeuvres. Du coup, il a droit a son portrait dans l'escalier des donateurs. Tous les généreux bienfaiteurs du Musée y sont croqués par le dessinateur Floc'h dans son inimitable style ligne claire aristocratique. On se croirait dans la page de garde d'un album de Tintin sauf qu'à la place de Milou et du capitaine Haddock, on contemple Jean Dubuffet aux côtés du Prince Louis de Polignac et de la Baronne Nathaniel de Rotschild. Asphyxiante compagnie !

****

Musique en jouets
jusqu'au 8 novembre
au Musée des arts décoratifs - 107 rue de Rivoli 75001 Paris

23 juillet 2009

Initials BB - BB Brunes & BB King

Mardi soir, ma fille de 14 ans est allée voir les BB Brunes aux arènes de St Vincent de Tyrosse (Landes). Elle me dit que le concert était fabuleux : "Adrien et Felix sont hyper-maigres. On était à deux mètres d'eux quant ils sont entrés dans les arènes. Quant à Karim il a vraiment la rock attitude. Il fume tout le temps et il boit entre les morceaux. Trop la classe !" J'ai pu vérifier sur Youtube que l'ambiance était effectivement teenage. Les musiciens ont 20 ans et les premiers rangs 5 de moins. Les filles connaissent les paroles par coeur. Dès que le chanteur fait un petit saut, elles se mettent toutes à crier comme au bon vieux temps. Pour une fois qu'elles ne se liquéfient pas pour des garçons coiffeurs, on ne va pas se plaindre. Là au moins on entend la guitare.

De mon côté j'étais à Paris. Le lendemain (c'est-à-dire hier mercredi), je suis allé voir BB King. Mêmes initiales, même ferveur mais trois générations d'écart et un tout autre décorum. D'abord le Palais des Congrès : type en costard qui vous déchire le billet, ouvreuse qui vous place, programme sur papier glacé et air conditionné. Pas à dire, ça change de l'Elysée Montmartre ! Le public est composé pour moitié de chauves et pour le reste d'auditeurs de FIP. BB est accueilli comme le monstre sacré qu'il est. Il ne tient plus trop debout. A 83 ans, ses genoux ne sont plus très solides. Assis sur sa chaise, dans sa veste à paillettes, il fait le show. Son jeu de guitare est toujours foudroyant et il chante vraiment comme un dieu. Il parle beaucoup aussi. Je n'ai pas tout compris mais à entendre les gorges déployées de mes voisins, il a dû en sortir deux trois pas mauvaises. Là aussi, vous pouvez vérifier. Les vidéos sont déjà sur Youtube. Tout ce que je dis est vrai.

BB Brunes ou BB King, petits coqs ou vieux sage, BB c'est vraiment de la bombe ! On me murmure à l'oreillette que, si juillet est le mois des BB, août sera celui des CC. Le retour des 10CC ?

12 juillet 2009

Ceesepe, mort ou vif

C'était il y a une dizaine d'années. Alors que je flânais dans la vieille ville de Pampelune, mes pas me conduisirent devant une petite boutique à la façade en bois peint. Coup d'oeil dans la vitrine. C'est ma chance, me dis-je, j'ai trouvé la librairie spécialisée du coin sans même la chercher. A l'intérieur, déception, des comics et des mangas partout. La BD franco-belge ne se vend plus me dit le propriétaire des lieux. Je m'étonne du peu d'auteurs espagnol sur ses étals. Vous cherchez quoi ? Je réponds Ceesepe (j'aurais aussi bien pu dire Torres, Max ou Mariscal). Le type hoche la tête. Non, je n'ai rien de lui. De toute façon il est mort.

Je dois dire que, passé l'étonnement, j'ai trouvé cette nouvelle tristement plausible. Cela faisait des années que je n'avais rien vu le concernant et j'imaginais sans peine les conséquences désastreuses qu'avaient dû avoir sur sa santé les cadences infernales de la movida. Vivre toute la journée dans un film d'Almodovar ne devait à l'évidence pas être de tout repos.

On doit d'ailleurs à Ceesepe les affiches de deux films d'Almodovar : Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (1980) et La loi du désir (1987). Il était un des piliers de la revue BD ultra-branchée El Vibora. De ce côté-ci des Pyrénées, il a publié Barcelona by Night (Humanoïdes associés - 1982) et Paris-Madrid (Artefact - 1985). On a pu voir quelques-uns de ses dessins dans Métal Hurlant. C'est aussi lui qui a signé la pochette de El primitivismo de Pascal Comelade (1988).

Il y a quelques jours, je demande à Google des infos sur Ceesepe. Direction Wikipedia Espagne. Tiens, ils n'ont pas mentionné qu'il était mort ! Et un peu plus bas, l'URL de son site perso. Ah bon ? Alleluïa, Ceesepe est vivant ! (par bonheur, je connais si peu de gens qui ont entendu parler de lui que je n'avais pas vraiment eu l'occasion de colporter la macabre fausse nouvelle).

J'apprends que Ceesepe s'appelle en réalité Carlos Sanchez Perez et qu'il a formé son nom d'artiste à partir de ses initiales (en castillan : Ce-ese-pe). Son site Internet est assez conventionnel (cv, dossiers de presse, contact, etc.). On y voit quand même pas mal d'oeuvres récentes (dont quelques acryliques sur papier à vendre). Toujours des chicas à la pelle, des compositions étourdissantes, des couleurs généreuses et de plus en plus de samplings visuels.


Franchement plus étonnant, le blog graphique que Ceesepe a tenu en 2008. Ca s'appelle Ceesepe calendario. Je n'en ai pas vraiment compris le principe mais les 130 vignettes que l'on peut y voir sont un bonheur pour les yeux. Du Mac à gogo avec des pin-ups, des actrices et aussi quelques autoportraits.

On peut enfin voir sur Youtube quelques courts mètrage de l'artiste. Dès que je suis assez calé, j'insère ci-dessous El Beso, vidéo qui date de 1980 et qui montre son travail de l'époque. En attendant, cliquez ici.

Bien sûr, on aimerait voir tout ça de plus près (je parle des dessins et des peintures). Alors, grandes galeries et petits musées, à quand une rétrospective Ceesepe ? Devra-t-on attendre comme pour Peellaert qu'il soit mort ? (je rigole...)

****

Ceesepe sur Internet :
http://www.ceesepe.net/
http://ceesepe.blogspot.com/
http://www.youtube.com/carlosceesepe

9 juillet 2009

L'oeil américain - Tony Truant & ses deux solutions

Les rares fois où j'ai lu des choses sur Tony Truant, il était question de son curriculum vitae. Il a commencé avec ceux-ci, il joue maintenant avec ceux là. L'air de dire : regardez comme ce type sait se mettre à la bonne avec les champions, il doit bien en rester quelque chose dans ses propres disques. Le problème avec Tony, c'est que ses disques ne ressemblent que d'assez loin avec ce qu'il a pu faire avec ses ex ou futurs acolytes.

Ce que je préfère chez Tony, ce sont ses paroles. Lui cite Dylan, les critiques lui répondent Audiard. A quoi bon choisir, c'est ni l'un ni l'autre. Dans les meilleurs moments, ça peut donner des choses comme : "Le vert qui tire vers le bleu est glauque /Aussi ai-je déterré mon tomahawk" ou "Dans la cour Balthazar fait des ronds / ce n'est pas pour plaire à l'administration". On retiendra également le définitif : "Je ne jouerai pas à Eurodisney / Je veux rester dans mon lit / Pas la peine de polémiquer / dans mon lit toute la vie". Dans un registre plus cocasse, "Elle est raide / j'ai du mal à l'avaler / elle est raide / je vais encore en baver" ou encore "J'ai pris du speed / pour tenter d'être moins stupide". Vous avez déjà entendu des trucs comme ça à la radio ? Moi jamais.

Premier album en 1989 signé Tony Truant et le Million Bolivar Quartet. La chose s'appelle "Your room is ready sir !". Du rock pas sorti du garage. Une production qui a un peu vieilli mais quelques chouettes titres ("Je conduis des mules", "Je suis contre", "Le tonnerre gronde") et un morceau d'anthologie, "G2LOQ". 4'05'' d'osmose parfaite entre l'écriture quasi automatique de Tony et la guitare de son ami et maître, l'infiniment regretté Dominique Laboubée. Le tout sur l'éphémère label Bird Production qui disparaît quelques temps après.

Son deuxième album, paru en 1994, est son chef d'oeuvre : "Pupille mon oeil" par Tony Truant et Dignes Dindons. On l'a quitté rocker puriste et provincial. Le voici accompagné de la fine fleur des musicos parisiens. Des guitares mais aussi des cordes, du piano, du ukulélé. Les accusations fusent : Tony s'est vendu à la variété. De fait, la plupart des morceaux n'ont plus grand chose à voir avec le rock à guitares. Arrangements luxuriants et textes inclassables. Mes préférées : "Fais pas chier quand je travaille", "Elle est raide", "Dernière sensation", "Mort mort mort mort", "En coulisse". Ce qui aurait dû être un coup de Trafalgar tourne au pétard mouillé. Le label New Rose Fnac qui édite le disque est moribond. Rien ne va plus.

En 1996 parait "Radio Château Rouge" par Tony Truant et son négligé. Si, sur le fond, l'album est un peu dans la même veine que le précédent, on sent que, dans la forme, les moyens financiers n'ont pas été les mêmes. Il y a quand même un manifeste qui aurait pu devenir un tube ("Je ne jouerai pas à Eurodisney") et quelques autres bon moments ("Ma fiancée s'est fait la malle", "Tout ce bordel au nom de Dieu"). Après, plus rien pendant sept ans.

Revoilà Tony en 2003 avec "Ovomaltine, benzedrine et vengeance" de Tony Truant et ses 2 solutions. Retour au rock garage avec un power trio. Pour la première fois sous son nom, des reprises : "Le Pivert" de Ronnie Bird (de la bombe), "Toto" des Wampas (du napalm) et "Pas Gentille" de je ne sais pas qui (de l'amour). C'est rugueux et tonique. Les guitares grattent, la batterie roule. Comme on dit, ça déménage.

Nous sommes en 2009. Cinquième album et cinquième maison de disque. Cette fois-ci, Tony won't be fooled again. Il le publie à ses frais sur son propre label, Poussinet. Ça s'appelle "L'oeil américain" et c'est à nouveau signé Tony Truant et ses 2 solutions. Toujours en power trio. Tony toujours à la guitare mais les autres musiciens ont changé. L'album est sympa mais moins affolant que le précédent. Que dire, c'est moins tendu, plus attendu. Heureusement, Tony a eu l'heureuse idée de placer en bonus les titres du maxi enregistré en 2005 avec les inénarrables Fleshtones et qui n'était sorti qu'en vinyle (entre autres, une version gaillarde de "Maman n'aime pas ma musique"). Superbe pochette. Tony en vieux sage, les joues creuses, le regard qui voit loin. Pour ne pas gâcher la photo, Tony n'a pas mis son nom dessus. Le genre de fantaisie que peut se permettre (et encore) Prince. J'espère qu'en plus d'un oeil américain il a un oncle d'Amérique pas radin sur les dollars.

Il m'est arrivé d'avoir cette vision étrange : j'allume la télé et je vois Tony. L'animateur lui pose de gentilles questions, lui demande s'il participera encore aux enfoirés cette année et le remercie d'être venu présenter en avant-première son nouveau tube. Un public casté de beaux jeunes gens aux dents blanches l'applaudit à tout rompre. Et tout ça parait hyper-normal.


****

Tony Truant & ses 2 solutions
L'oeil américain
Poussinet 2009

Tony Truant
On the rocks (compilation de ses 4 premiers albums)
Poussinet 2005

www.myspace.com/tonytruant

5 juillet 2009

Rêves de rock - Guy Peellaert

Vous vous souvenez de l'album "Bye Bye, Bye Baby, Bye Bye" plus connu sous le nom de "Rock Dreams" (son sous-titre) ? C'était en 1973. Guy Peellaert offrait à la jeunesse pop un brévière d'images à la fois édifiantes et stupéfiantes. En vrac, une orgie avec les Stones, les Beatles prenant le thé avec la Reine, Johnny Cash au bagne, Janis comateuse. Une mythologie tout droit sortie des transistors, une divine comédie avec ses rois, ses bouffons, ses loosers et ses renégats. La planche sur Ray Charles est particulièrement réussie. On a tout simplement pas envie que ce type si talentueux soit aveugle alors que tous ces cons racistes qui remplissent les rues ont leurs deux yeux. Peellaert le représente au volant d'une limousine, cruisant avec une starlette (blanche) blotie sur l'épaule. Ca y est, le monde est parfait, tout est rentré dans l'ordre. Ces images étaient tellement justes que, dès 1974, David Bowie et les Rolling Stones commandèrent à Peellaert la pochette de leur nouvel album (Diamond Dogs et It's Only Rock'n Roll).

Mon exemplaire de Rock Dreams est complètement débroché. A l'époque, Albin Michel lésinait sur la colle. Toutes les pages se sont détachées ce qui fait que je n'ai jamais vu certaines planches autrement que coupées en deux par la reliure.

Heureusement, le Musée Maillol a eu la bonne idée de rendre hommage à Guy Peellaert (il nous a quitté en novembre dernier) en exposant une trentaine de planches originales de Rock Dreams. Ce n'est pas ultra spectaculaire car elles sont à peine plus grandes que dans l'album (mais elles sont d'un seul tenant). De plus les techniques employées par Peellaert (projection, aérographe, pastel) laissent assez peu voir le travail de l'artiste. Une des planches, celle avec Phil Spector, provient de la collection de Robert Combas. J'avais déjà remarqué il y a quelques années dans une expo une toile de Fleury-Joseph Crépin lui appartenant. Ce type doit avoir une collection infernale. On peut également voir une maquette de la pochette de It's Only Rock'n Roll. Une superbe composition dans le genre peplum. Les Stones triomphants acclamés par une foule de jeunes beautés païennes. Des dizaines de photos découpées on ne sait où, minutieusement redimensionnées à la photocopieuse puis assemblées, placées et replacées et enfin collées unes à unes. Un boulot de maniaque. C'est beau comme Ben-Hur.

Pour finir, je voudrais signaler cette trouvaille du Musée Maillol qui a eu la curieuse idée d'éditer un catalogue de l'exposition. Curieuse parce que les planches exposées sont extraites d'un album qui en comporte bien d'autres. L'acheteur du catalogue se retrouve donc avec le tiers des planches de l'album alors que celui-ci a été réédité maintes fois depuis sa parution (et en plus avec des reliures en béton). Catalogue à réserver aux Peellaertolâtres donc.

***

BYE BYE, BYE BABY, BYE BYE GUY PEELLAERT
Jusqu'au 28 septembre 2009
au Musée Maillol - 61 rue de Grenelle 75007 Paris

3 juillet 2009

Les jolies filles aiment les blogs

J'ai longuement hésité sur le titre de ce blog. Un moment je pensais à "La Mort vient en Chantant" qui est le titre du premier roman de Georges Roques. J'ai finalement opté pour "La Chance aime les Jolies filles" qui est le titre d'un roman de René Roques. C'est moins sévère et, au fond, ça dit un peu la même chose.
René était le père de Georges. A eux deux ils ont écrit une centaine de romans. Vous ne les connaissez pas pour plein de raisons. D'abord leur production était assez confidentielle puisqu'ils se sont la plupart du temps autoédités. Il faut dire aussi qu'à eux deux ils détiennent un étonnant record familial : 41 romans interdits au titre de l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949. Certaines de ces interdictions n'ayant à ce jour pas été levées, plusieurs de leurs romans les plus intéressants seraient aujourd'hui encore inpubliables . Et je ne parle pas des livres édités clandestinement par Georges et vendus sous le manteau.
René et Georges sévissaient dans un créneau que certains appellent le roman de gare et que d'autres qualifieront de façon plus savante de littérature populaire. Pour que leurs petites boutiques tournent il fallait vendre. Après-guerre, pour vendre ce genre de livre, il fallait a minima 1/une couverture sexy 2/ un titre qui casse la barraque 3/ ne pas être censuré.

Arrêtons nous sur le point 2. "La chance aime les jolies filles" est un sacré bon titre. Preuve de son efficacité, René Roques l'a réédité plusieurs fois. Dès la deuxième édition, on voit d'ailleurs apparaitre sur la couverture le nom de l'auteur ommis sur le premier tirage. J'ai un faible pour ces petites phases qui claquent comme des haïkus rock'n roll (avant l'heure). Un sujet, un verbe et un complément, trois accords et c'est parti. Boris Vian était très calé dans cet exercice. Les titres des Vernon Sullivan sont indépassables : "J'irai cracher sur vos tombes" (1946), "Les morts ont tous la même peau" (1947), "Et on tuera tous les affreux" (1948), "Elles se rendent pas compte" (1950). Bien connu des amateurs, le "On est toujours trop bon avec les femmes" (1947) de Sally Mara/Raymond Queneau. Citons également Léo Malet : "La vie est dégueulasse" (1948), "Le soleil n'est pas pour nous" (1949) ou "M'as tu vu en cadavre ?" (1956). Georges Roques a publié sous le pseudonyme de Georgie Rock "Les Morues ne sont pas toutes plates" (1952) et "As-tu vu ses hanches ?" (1952). De son côté René Roques s'est fendu des peu rugueux "Le pastis était bleu" (1959) et "Tu jouais à la poupée ce jour-là" (1962). Des gens sérieux je vous dis. On aura l'occasion d'en reparler plus longuement dans ce blog.