27 avril 2010

Eloge de Pierre Bourgeade

Oh les belles jambes ! Si j'en crois la monumentale somme publiée par Jean-Luc Mercié à l'occasion de l'expo Molinier, ce photomontage répond au doux nom de "Autoportrait à quatre jambes". Ce qui est curieux puisque j'en compte cinq. Autre curiosité, la photo a été inversée. Maintenant Molinier regarde vers la gauche. Bizarre, bizarre.... Pierre Bourgeade et Pierre Molinier se fréquentaient. Il n'est donc pas étonnant de retrouver l'homme aux jarretelles en couverture de l'ouvrage que son ami consacre au fétichisme.

Eloge de fétichisme est un tourbillon de souvenirs, de visions fantastiques, de réflexions et d'érudition littéraire. Un livre presque sans plan, avec des portes secrètes et des glaces partout. On était ici, on se retrouve ailleurs au paragraphe suivant. Pierre Bourgeade est mort quelques mois avant sa publication. Peut-être est-ce la forme qu'il a voulu donner a son ouvrage. Peut-être pas. Si c'est le cas, il a bien fait.

Dès la première ligne, Pierre Bourgeade rappelle que la fétichisme c'est "aimer la partie pour le tout". Et de se lancer dans un recensement de tous les fétichismes possibles soutenu par un bombardement de citations d'auteurs célèbres. Sur de tels rails, on s'attend à une étude monomaniaque du monde merveilleux des adorateurs du nylon. En fait, il n'en est rien. Assez vite le propos s'élargit aux pratiques sexuelles (non-fécondes) en tous genres. Les grands classiques comme le SM, la zoophilie ou la nécrophilie sont passés en revue mais aussi d'autres plus inattendues comme cette femme qui se love dans le vagin d'une baleine échouée sur la plage. On se perd dans un labyrinthe de fantasmes et puis soudain les corps redeviennent réels. Bourgeade se prend alors de compassion pour le corps meurtri de Marie. Comment ne pas reconnaître la peintre Marie Morel ? Ses oeuvres étaient exposées il y a encore quelques semaines à la Halle St Pierre en même temps que celles de Chomo.

Eloge du fétichisme a obtenu le prix spécial du Jury Sade. Mais on peut quand même le recommander aux âmes sensibles. Il peut être mis entre (presque) toutes les mains. Pas étonnant de le trouver au catalogue d'un éditeur comme Tristram chez qui on avait déjà pu se délecter de livres aussi étonnants que Le Tutu de Princesse Sapho et la version couleurs du Compact de Maurice Roche. Les Lester Bangs et Patti Smith n'étaient pas mal non plus. Rien que du bon et du beau.

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Eloge du fétichisme
Pierre Bourgeade
Editions Tristram 2009

6 avril 2010

Un drôle d'oiseau - Chaval

Je me souviens d'un numéro de la revue Bizarre qui traînait dans la bibliothèque de mes parents. J'étais enfant et le vautour sur la couverture m'impressionnait d'autant plus qu'on pouvait lire sur le noir de ses ailes ce jugement définitif : Les oiseaux sont des cons. Je n'ai pas tout de suite été transporté par la beauté minérale du dessin de Chaval. J'étais alors dans ma période Tif et Tondu et le duel sans fin des deux compères avec le machiavélique Choc me paraissait autrement exaltant.

Le temps a passé. L'an dernier, le dénommé Jean-Marie Lhôte a eu la riche idée de publier une indispensable anthologie de la revue Bizarre. Au hasard des pages, j'y retrouve les satanés piafs. Ils n'avaient pas changé. J'apprends que les dessins de mon enfance sont en fait extraits du court métrage éponyme que Chaval avait réalisé en 1964, l'année précédant leur publication dans Bizarre.

(attention : le son ne démarre qu'à 0'36'')


Mon dieu que c'est beau ! Ce trait vertical, ces yeux fatigués qui empêchent de rêver et qui vous rappellent sans cesse qui vous êtes et quelle est votre place. Les dessins les plus frappants sont ceux où les gros becs surgissent de puissantes traînées noires. Comme si, pour exister, les oiseaux devaient s'accrocher à ce qui reste, se contenter des bouts d'espace laissés libres. Le commentaire est grandiose. On devrait l'étudier dans les écoles. Et le lire ! : "Qu'ils sont cons les oiseaux ! Qu'ils sont cons les pauvres petits ! Aussi cons que les hommes disent certains, d'autres affirment qu'ils le sont d'avantage. Mon dieu qu'ils sont cons les oiseaux, qu'ils sont donc cons". Le meilleur pour la fin : "Chante con, chante clair. Chante la joie d'être un con. Chante le bonheur de vivre sans comprendre. Mon faucon, mon beau-frère. Les oiseaux sont des cons". C'est sublime et déprimant comme une poésie de Dominique de Villepin.

Ces jours-ci, nos cons d'oiseaux nous donnent un nouveau rendez-vous à l'atelier André Girard . Cette galerie située à quelques pas du boulevard Montparnasse expose jusqu'au 6 mai une floppée de Chaval (de Chaveaux ?) en provenance directe du grenier d'un neveu. On peut ainsi de procurer un petit Chaval pour décorer son salon mais, attention, c'est peu dire que ce n'est pas donné. Toutes les périodes sont représentées : des dessins potaches des années cinquante jusqu'aux oiseaux de mauvais augure des derniers jours (Chaval s'est suicidé en 68, l'année du Requiem pour un con). Ces derniers occupent quelques cadres. En voici quelques spécimens bien cons.

Pour me faire pardonner ce triste billet, voici deux dessins également exposés qui, à n'en pas douter, amuseront les cons.


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Chaval
Atelier André Girard
7 rue Campagne Première - Paris 14e
Jusqu'au 6 mai.

http://www.atelier.angirard.com/