15 septembre 2013

Good bye Bobby - Primal Scream

Sur le formidable nouvel album des Primal Scream, une curiosité mérite d'être signalée. Plage 7, Bobby Gillespie et ses narco-acolytes s'attaquent à rien moins qu'un Himalaya : le Good Bye Johnny des légendaires Gun Club.

Good bye Johnny, c’est le morceau qui clôt Fire of Love, l'album qui révéla en 1981 le groupe de Jeffrey Lee Pierce. Un final en forme d'apocalypse molle, qui s’étire en longueur, traîne. Des guitares squelettiques sur lesquelles Jeffrey Lee pose une dernière fois sa voix de prophète :

Look what's been done, John
It's coming out of the east like rain, Johnny
Look, what's been done, John
It's coming like a God with no name, Johnny

L'agonie dure 3 minute 44. Un dernier râle et le morceau s'écroule, mort d’épuisement.

Revenons à la plage 7 du petit dernier de Bobby et de ses compères.

On est transportés à Copacabana dans un thé dansant bondé de retraités britons. Bobby nous attend au centre de la piste. Des couples sombres le frôlent. Le lightshow fait de petites étoiles sur sa veste. Ignorant les sourires de porcelaine des danseurs, Bobby porte le micro à ses lèvres. 

Choeur féminin languissant : Johnny
Bobby (blasé) : Everybodys’s drunk in the world below
Re-choeur féminin languissant : Johnny
Re-Bobby (à la cool) : It’s a soundness sound when the sun don’t show

Ça, une reprise de Goodbye Johnny ?

Sur le site sabotagetimes.com, Bobby donne le fin mot de l’affaire : « L’histoire c’est qu’on nous avait donné la démo d’une chanson pré-Gun Club de Jeffrey Lee Pierce qui s’appelait Good Bye Johnny avec juste la voix et une guitare acoustique. Alors on a gardé les paroles (ah bon ?) mais on a écrit une chanson complètement nouvelle avec une toute nouvelle musique " (pour ça oui !).

Quand je parlais de curiosité, Les Primal Scream ont inventé la reprise sans prise. Un peu comme ces gangsters qui changent de visage et de nom. C’est bien eux et pourtant ce n’est plus eux. Même leur mère ne les reconnait plus. On notera au passage l'altruisme des Primal Scream qui paient des royalties aux héritiers de Pierce pour une chanson qu'il n'a pas écrit.

Un peu plus loin, la joyeuse bande bombarde un Walking with the Beast de belle facture. Celui du troisième album du Gun Club ? Là encore, la musique n’a rien à voir, les paroles sont différentes. Jusque là tout est normal, c’est bien une reprise du Gun club par Primal Scream. Sauf que la chanson est signée Gillespie/Innes. Sans doute pour brouiller encore plus les pistes, ont-ils masqué l’identité réelle de son auteur.

Le reste de l'album, c’est du Philip K Dick. Rien que des reprises du Gun Club mais personne ne peut le deviner. En plus d'avoir changé les mélodies, les paroles et les auteurs, les Primal Scream ont aussi changé les titres. River of pain serait elle une relecture apaisée de Death Party ? Cette perspective ouvre des horizons vertigineux.
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More Light
Primal Scream

29 octobre 2012

En quarantaine - Rotomagus et Jean-Pierre Mirouze

Le point commun entre Rotomagus et Jean-Pierre Mirouze ? Ils sortent ces jours-ci d'une quarantaine de ... quarante ans ! Ils n'ont pas commis le même crime (les uns faisaient trop de bruit, l'autre a sonorisé un soft porn) mais ils ont purgé la même peine : quarante ans d'isolement et de silence.

En juillet 70, les Rotomagus, power trio rouennais, mettent en boite une maquette 9 titres qui boxe dans la catégorie poids lourd. C'est chanté en anglais, les musiciens sont particulièrement bien en place et jouent avec une sauvagerie assez inédite au pays des Triangle. Il aurait fallu qu'un directeur artistique les repère et les fasse monter sur le ring. Il n'en a rien été. Juste un quarante-cinq tours sorti discrètement : The sky turn red / Fighting Cock . Ce dernier titre est une cavalcade électrique, ponctuée par un étonnant chant du coq exécuté à la six cordes. Après ces deux rounds gagnés au poing dans l'indifférence générale, Rotomagus jette l'éponge.

A peu près au même moment, en 1971, le chef d'orchestre Jean-Pierre Mirouze compose la bande originale du film Le mariage collectif, une bobine post soixante-huitarde qui se veut libérée mais qui apparemment n'a pas chauffé grand monde. Tant par les compositions que par la richesse des arrangements, cette BO est somptueuse. Le niveau Jean-Claude Vannier. Là aussi, un petit quarante-cinq tours et puis s'en vont. Deux extraits sont publiés : Together avec en face B le jerk Sexopolis . Les sept autres morceaux restent inédits. Après plusieurs tentatives infructueuses (un mini-tube quand même avec "Je suis" de Nicole Rieux), Jean-Pierre Mirouze arrêtera la musique pour se consacrer à divers projets audio-visuels.

Heureusement, il existe des passionnés pour sortir des oubliettes ces chefs d'oeuvre oubliés. On a vu le travail fait en Angleterre pour les naufragés de Wicked Lady. Côté français les sauveteurs s'appellent Martyrs of pop et Born Bad Records.

Martyrs of pop sort une intégrale de Rotomagus. Les productions avant la fameuse maquette (bof..), la maquette (une tuerie) et le quarante-cinq tours qui en ont découlé (un carnage). Pour finir, deux titres dont on ne comprend pas s'ils sont sortis ou non, l'un des deux étant une relecture cartoonesque du viril Laureline avec voix de canard à l'helium, le genre de suicide artistique dont un rocker ne se remet normalement pas (encore que, Bowie et son Laughing gnome de 67...).

Born Bad Record publie la Bo complète du Mariage Collectif. Il est longuement question dans les notes de pochette d'un acetate qui aurait été miraculeusement retrouvé dans une décharge et qui serait à l'origine de cette édition. On veut bien les croire mais alors quelle restauration du son ! C'est de la friandise pour chaine hi-fi, on dirait du Air !

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Rotomagus
The sky Turns red - Complete antology
Martyrs of pop - 2011

Le mariage collectif
BO composée et dirigée par Jean-Pierre Mirouze
Born Bad Records - 2012

15 décembre 2011

Ah que je ris de me voir si beau ! - Jean Lorrain

C'est chaque fois un bonheur de trouver dans ma boite aux lettres le catalogue d'un marchand d'autographes. Je le dévore aussitôt avec la gourmandise d'une lectrice de Voici. On y découvre nos grands génies dans leur vie la plus quotidienne : cirages de pompes, demandes d'argent, échanges de bons procédés et, de temps à autres, insultes ou opinions extravagantes. Des manuscrits raturés et des photos aussi. Le tout à des prix en général proportionnels aux confortables retraites des vieux docteurs clients de ce genre de choses.

Aujourd'hui j'ai reçu le catalogue de la librairie Signatures. On y trouve une lettre de Jean Lorrain qui vaut le détour. Elle est adressée à son amie extralucide, la chiromancienne Mme de Thèbes. Nous sommes en 1903 et Lorrain lui décrit avec beaucoup de modestie le portrait que vient de faire de lui le peintre Antonio de la Gandara. "le portrait de Gandara révolutionnera certainement le monde. (Sic !) Il est enfin terminé, ce portrait, vous devez l'aller voir, car il vous intéressera sûrement. Mieux il vous impressionnera. C'est mieux qu'un portrait, c'est une vision, presque un spectre, un fantôme. c'est toute l'âme de M. de Phocas et c'est aussi celle de Jean Lorrain, la main surtout est étonnante, les yeux hallucinants". Sapristi ! Voir le Gandara et mourir... Pour quelques euros on peut aller le contempler au Musée d'Orsay et c'est vrai qu'il fait un peu peur.


Une petite énigme quand même. La lettre est datée du 31 décembre 1903. Or le tableau ci-dessus date de 1898. Lorrain se fichait-il de sa voyante ? Existe-t-il un autre portrait "à la main" ? On connaît bien un deuxième Jean Lorrain signé Gandara mais sans la moindre main. Par contre les yeux, hallucinants ou hallucinés ?

Merci à http://www.lagandara.fr/ pour le scan
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Catalogue n°6 - Décembre 2011
Librairie Signatures
17 rue Jacob - Paris 6e
http://www.librairiesignatures.com/

28 août 2011

Le Comelade automatique

Pascal Comelade n'a jamais fait mystère du peu de goût qu'il a à se donner en spectacle. Donner un concert est pour lui au mieux un effort surhumain qu'il doit à son public, au pire une corvée inutile imposée par sa maison de disques. Il arrive sur scène la mine abattue et accueille les bravos avec gêne. Ça commence à aller mieux quand on le laisse se concentrer sur son mini-piano et on devine son soulagement quand l'attention du public se détourne vers celui de ses acolytes à qui il a demandé de faire le guignol (ces temps-ci Pep Pascual, le Général Acazar il y a quelques années, la bonne bouille de Gérard Meloux pouvant également faire l'affaire).

Enfin, tout cela c'est du passé. Pascal Comelade n'étant pas du genre à se laisser empoisonner la vie, il a mis au point avec l'aide de son compère Christian Laporte une fabuleuse machine qui pourra désormais étancher la soif de live de ses fans sans qu'il ait à quitter son canapé. Imaginez un orchestre tout en ferraille et bouts de tissus commandé par un simple bouton électrique et capable de jouer à l'infini le morceau Stranger in paradigm ! A ma gauche, en Chopin Lee Lewis, le maestro. Au centre, méconnaissable dans sa dégaine de moulin à vent, le Général Alcazar. A droite, le batteur dont je n'ai pas noté le nom mais dont le jeu métronomique n'est pas sans rappeler celui du grand Nick Knox.

Cet engin virtuose se produit actuellement à Sète, au fameux Musée International des Arts Modestes. Pour l'instant il ne sait jouer qu'un seul morceau ce qui, compte tenu des exigences du show business, est peut-être encore un peu court, même pour des premières parties. Enfin, ce n'est de toute façon qu'un début et je vous laisse juger par vous-même du cadeau que Comelade fait à l'industrie du spectacle en visionnant la vidéo ci-dessous réalisée par mes soins (appréciez le mouvement de caméra à 0'12'').





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Rocanrolorama de Pascal Comelade et Christian Laporte
Les territoires de l'Art Modeste
Musée International des Arts Modestes de Sète
Jusqu'au 2 octobre
http://www.miam.org/

25 mars 2011

Le musée invisible de William Burroughs

Les éditions Tristram nous gratifient à nouveau d'une merveille. Le Porte-Lamme (astucieuse traduction de l'impossible "Blade Runner") est un mini-roman de William Burroughs datant de 1979 et qui était, on se demande bien pourquoi, resté inédit en Français. On lit ces pages avec trente ans de retard et pourtant on jurerait qu'elles ont été écrites avant-hier par un Barak Obama sous acides pour défendre sa réforme de la couverture santé.
"Le sujet du film [du roman] est l'avenir de la médecine et du genre humain". Et c'est peu dire qu'il n'est pas rose ! En 2014, New York est devenu une gigantesque Babylone où survivent gangs, soldats du Christ, lépreux et tarés génétiques en tous genres. C'est justement pour éliminer ces derniers que le gouvernement décide d'interdire les médicaments. Mais les américains sont les américains. La prohibition, ils connaissent ! Laboratoires clandestins et cliniques insalubres ne tardent pas à fleurir à chaque coin de rue et, pour les fournir, des gamins comme Billy arpentent le bitume chargés de médicaments interdits. Ce sont les Blade Runners.

Une des bonnes surprises du roman se trouve page 51 : Burroughs nous y laisse entrevoir son Musée imaginaire. Ou plutôt son musée invisible pour reprendre la formule lancée par Nathaniel Herzberg pour désigner une réunion de tableaux volés. Ce qui est bien le cas ici. La scène se déroule dans le local des porte-lames Billy et Roberts : "Les murs du local sont couverts de peintures, de dessins, de BD et de photos, pour la plupart des oeuvres d'artistes anonymes. Certaines pièces ont été dérobées dans des musées ou des collections privées pendant des évènements : Custer's Last Stand de Paxson, the Swimming Hole d'Eakins, des agrandissements de photos anciennes comme Water Rats et Sterne Reality de Sutcliffe, des photos prises par le baron von Gloeden, des photos de New York au 19e siècle et au début du 20e."

Suivez le guide !

Custer's Last Stand (1899) de Edgar S. Paxson (1852-1919)

On prête au général Custer l'aimable "Un bon indien est un indien mort". En fait on est pas sûr que ce soit lui qui l'ait vraiment dite mais, dans le doute, Sitting Bull et ses troupes l'ont liquidé en 1876 sur le champ de bataille de Little Big Horn. Au fil des pages, Burroughs cite à trois reprises ce tableau.

The Swimming Hole (1884-1885) de Thomas Eakins (1844-1916)

Après l'apocalypse, le paradis perdu. Avec de beaux Adam pas à l'étroit dans leur maillot de bain.

Water Rats et Sterne Reality de Frank Sutcliffe (1853-1941)

Contrairement à Paxton et Eakins qui étaient américains, Francis Meadow Sutcliffe était un photographe anglais. Il existe un site très complet sur son oeuvre. Pour le découvrir, cliquez ici.
Le baron Wilhelm von Gloeden (1856-1931)

Je laisse le soin à Google de vous guider jusqu'aux photos du baron von Gloeden qui n'aimait rien tant que de photographier de jeunes siciliens au pénis bien charnu. J'en mets quand même une petite tout en n'étant pas certain que ce serait celle-là que Burroughs aurait choisi pour son Musée.


Mercure, le Porte-lame

La visite continue page 52 : "Image grandeur nature d'un garçon nu en érection, avec les sandales et le casque ailé du dieu Mercure. Peint dans des tons roses et bleus criards, ce tableau est inséré dans un somptueux cadre doré. Le garçon pose sur fond de villes en flammes à la Jérôme Bosch : Le Porte-lame."

Cette toile existe-t-elle ? A mon avis le plus simple serait de la commander à Pierre et Gilles qui avec un sujet pareil feraient des miracles.

Fin de la visite du musée invisible de William Burroughs. Mais au fait, qu'en ont pensé les porte-lamme ? "Billy et Roberts s'immobilisent devant le tableau et tirent à pile ou face pour savoir qui va faire la cuisine."

A table !

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Le Porte-lame
Blade Runner (A Movie)
William Burroughs
Editions Tristram 2011

23 janvier 2011

Musidora contre les Vampires


Tiens ! Une huile sur panneau signée Musidora a été adjugée à Drouot en octobre. C'est un gentil petit portrait d'une certaine Mademoiselle Suzanne et c'est parti pour 310€. Jugez si c'est une bonne affaire ! Bien sûr, ce n'est pas pour sa peinture que Musidora est passée à la postérité, ceci expliquant sans doute sa faible cote.

On se souvient en général de Musidora comme étant la première vamp du cinéma. En fait de vamp, l'artiste de music hall qu'elle était s'était littéralement faite vampiriser par le personnage d'Irma Vep. C'est Louis Feuillade qui lui donna ce rôle, en pleine première guerre mondiale, dans sa série en douze épisodes  "Les Vampires". Grâce à un collant noir qui moulait ses formes généreuses, des yeux qui roulaient et des exploits criminels en tous genres, Irma Vep était devenue en quelques semaines le fantasme numéro un des français. Par la suite, toutes les tentatives cinématographiques de Musidora pour prendre ses distances d'avec la vamp (en adaptant des romans de Colette ou de Pierre Benoit par exemple) ne rencontreront jamais un succès à la mesure de celui des Vampires. C'était la garce criminelle, entreprenante et sans pudeur, qui faisait rêver les poilus enfermés dans les tranchées, pas l'ambitieuse actrice qui construisait des ponts entre le cinéma et la littérature. La vamp resta accrochée à Musidora bien après que les Vampires eurent disparus des écrans. Quand Breton et Aragon écrivirent en 1929 la pièce Le Trésor des Jésuites, ils eurent beau prétendre l'écrire pour Musidora, c'était bien Irma Vep qu'ils célébraient : "Elle est en maillot noir, lampe électrique à la main". On redemandera ainsi à Musidora du Irma Vep jusqu'à la fin de ses jours. Quelques jours avant sa mort, on pouvait encore la voir dans le journal Détective exhiber à 68 ans le fameux collant noir, le "vrai", celui d'Irma Vep.

L'histoire de Musidora est trop longue pour être racontée sur ce blog. De son combat inégal avec Irma Vep, elle sortira lessivée et ruinée. En 1927, elle tombera dans les bras de son médecin qu'elle présentera aussi comme un ami d'enfance. A lire les dernières pages de son roman autobiographique Paroxysmes, on pencherait plutôt pour un gourou. Toujours est-il que cet homme la sauvera en la ramenant à une vie moins extravagante. Oubliée la vamp. De toute façon, depuis que le cinéma parle, il ne s'intéresse plus à elle. Elle aura un fils à presque 40 ans et consacrera ses moments perdus à l'écriture, au théâtre et à la peinture sans jamais renouer avec le succès.

Revenons au petit portrait qui est le prétexte à ce billet. Il date de 1932. Avec le portrait de son collègue et imprésario Robert Ozanne, c'est le seul exemple de peinture que je connaisse de Musidora. Franchement, sans être révolutionnaires, ces deux huiles montrent quelques qualités. Pour se faire une idée, il faudrait en voir d'autres. Si vous en connaissez, n'hésitez donc pas à me faire signe.

Restons dans le domaine des beaux-arts et signalons l'étrange destin de la maison que Musidora habita avant-guerre à Chatillon-sur-Marne. Cette maison est devenue en 2003 un lieu de création artistique géré par une association nommée... Irmaveplab !!!! Je ne sais pas grand chose des activités du "lab" si ce n'est qu'il semble avoir aujourd'hui déserté la Champagne pour la capitale, devenant au passage Irmavepclub. On peut avoir un aperçu de ses projets en visitant son site Internet.

Les pauvres, ils croyaient se placer sous la protection de la muse, ils se sont jetés dans les griffes de la vamp. On leur souhaite bien du courage...

25 octobre 2010

Le guide des prénoms - Pierre Louÿs

Le Nom de la Femme, nous annonce l'affreux macaron rouge placé sur la couverture, est un inédit de Pierre Louÿs. Ce qui n'est pas en soi une prouesse éditoriale tant Pierre Louÿs semble avoir passé sa vie à écrire et à ne quasiment rien publier, laissant aux éditeurs une matière immense à exploiter après sa mort. A peine était-il enterré que les amateurs découvraient Trois filles de leur mère et Psyché. Puis ce furent son Journal, ses poésies, ses écrits érotiques, sans parler de ses nombreux textes d'érudition littéraire. Aujourd'hui encore, des textes inédits sont régulièrement exhumés, la plupart du temps par le ludovicien en chef Jean-Paul Goujon.

Le Nom de la Femme est un bien étrange document. Peut-on parler de poème ? Il s'agit d'une liste de 471 noms de femmes. Le préfacier Philippe Brenot (qui est aussi l'éditeur) a bien raison d'écrire qu'"il faut parcourir ce poème avec recueillement, mentalement ou à haute voix, pour entrer dans l'univers intérieur de Pierre Louÿs". On devine le pouvoir d'évocation de chacun de ces noms pour celui qui se vantait, à l'époque où a été écrit le texte (1898), d'avoir connu 1000 femmes (et ce n'était qu'un début !). Par contre, Philippe Brenot ne prête-t-il pas à Louÿs des intentions qu'il n'a pas quand il écrit que cette énumération est "un long jeu de femmes entre elles qui, comme dans un dictionnaire jouent avec les mots qui les entourent créant une atmosphère qui leur ressemble". En fait d'atmosphère, c'est plutôt l'armée des ombres. On ne voit pas les visages. Dans ce texte, les femmes sont réduites à des noms qu'elles portent comme des matricules. Les extraits du manuscrit reproduits montrent la façon dont a été composé ce texte : une première liste de prénoms froidement rangés par ordre alphabétique (ex : Francine, Francinette, Françoise...) enrichie d'une deuxième, insérée dans la première de façon toute aussi alphabétique, composées de sobriquets (Frangipane, Franquette, Frasque, Fraxinelle, Freluche...). Le rapport entre les Françoise et les Frangipane ? A mon avis aucun. Il y a d'un côté les Françoise dont il se souvient, parfois vaguement, et de l'autre les Frangipane, Franquettes et autres Frasque qui sont sans doute des prostituées que Louÿs n'a jamais connu que bibliquement, de la chair anonyme consommée dans les bordels et à qui il redonne involontairement, en les nommant, un peu d'humanité.

Un des bonheurs de ce livre est d'y découvrir de nouvelles photos de Pierre Louÿs. On ne dira jamais assez à quel point cet homme a été un œil. Il me semble que s'il restait un grand livre à publier sur lui, ce serait certainement un album de ses photographies. Je pense aux photos érotiques mais aussi aux portraits de ses proches. Michel Simon en possédait un grand nombre dont celle ci-dessous. Ce qui est bien avec Pierre Louÿs, c'est que tout finit toujours par ressortir un jour ou l'autre. La seule question est de savoir si ce sera pour Noël ou pour dans cinquante ans.

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Le nom de la femme
Pierre Louÿs
L'esprit du temps - 2010