2 novembre 2009

Comment j'ai retrouvé certains tableaux de Raymond Roussel

Je referme le Raymond Roussel de François Caradec. A ceux qui ne l'ont pas encore lu, vous pouvez y aller, c'est indépassable ! On n'écrira jamais rien de plus précis et de plus documenté sur l'auteur d'Impressions d'Afrique et de Locus Solus.

On y apprend par exemple que Raymond Roussel avouait volontiers "que la peinture l'ennuyait et qu'il n'y connaissait rien". Ses goûts étaient des plus classiques. Il a cependant été amené à acheter des tableaux à quelques uns de ses jeunes admirateurs surréalistes (Masson, Miro et Ernst), tableaux dont on aurait malheureusement perdu la trace : "Que sont-ils devenus ? Ont-ils échoué aux puces ? Leur nouveaux propriétaires connaissent-ils leur origine ? Sont-il encore oubliés dans une caisse au fond d'un garde meuble ?" (page 256).

Le petit internaute de 2009 a un avantage sur l'érudit des années 90 (la bio est parue en 1997), c'est qu'il dispose d'un outil surpuissant de recherche. Mettons-nous donc en quête de ces tableaux perdus.

La bougie allumée - André Masson - 1924
Mars 1924 : Michel Leiris entraîne Raymond Roussel dans l'atelier d'André Masson. "Il achète une nature morte dont il apprécie la "transparence"; c'est en fait un assemblage d'objets éclairés par une bougie allumée en plein jour où les verres (et leur transparence) jouent un grand rôle." (page 257)


On peut voir dans le Catalogue en ligne de la vente Sothebys du 5 novembre 2008, portant le numéro 182, une huile sur toile d'André Masson datant justement de 1924 et que je vous propose de comparer avec la description de Caradec. Si ce n'est pas la toile de Roussel, c'est vraiment sa jumelle ! Notons au passage qu'elle est plutôt d'inspiration cubiste. Décidément, Raymond Roussel n'aurait pas fait un bon surréaliste !
Où se trouve ce tableau aujourd'hui ? Apparemment il n'aurait pas trouvé preneur (estimation 250 à 350.000 $). La provenance indiquée est la Galerie Cazeau-Béraudière à Paris. Il est donc très probablement toujours en France et ses propriétaires semblent tout ignorer de son illustre premier propriétaire.

Le Rossignol Chinois - Max Ernst - 1920



En 1926, galerie Van Leer, rue de Seine : "Un après-midi, alors que Max Ernst est seul dans la galerie, un amateur intrigue le peintre par la curiosité avec laquelle il examine les tableaux exposés; en s'excusant de son indiscrétion, il demande si l'artiste n'emploie pas certains procédés techniques particuliers, et se fait expliquer sa "procédure". Et Roussel, qui prend le peintre pour un employé de la galerie, s'adresse à la secrétaire et achète Le Rossignol Chinois, qui date de 1920. C'est seulement après son départ que Max Ernst apprend le nom de l'acheteur" (page 316). Caradec note que l'on connaît des reproductions de cette oeuvre mais, pour ce qui concerne l'original ayant appartenu à Roussel " il semble en tout cas avoir définitivement disparu."

J'ai retrouvé Le Rossignol Chinois dans les collections du Musée de Grenoble. Ce musée ne serait-il d'ailleurs pas bien inspiré en se portant acquéreur du Masson ? Ainsi les deux œuvres ayant appartenu à Raymond Roussel seraient à nouveau réunies et pourraient être exposées côte à côte.

Perdus de vue

Reste à localiser l'oeuvre de Juan Miro achetée vers 1925 mais là Caradec ne donne aucun indice. Il faudrait se replonger dans les écrits de Leiris. Mais je suis confiant. Pas plus qu'on ne perd un Masson ou un Esnst, on ne jette à la poubelle un Miro.

Et puis Il y a ce tableau, de facture moins avant-gardiste mais tout aussi passionnant, datant probablement de 1926 et signé Henri-Achille Zo. "C'est vraisemblablement à la même époque que Raymond Roussel fait exécuter au peintre Henri Zo une toile signalée par Michel Leiris, dont la moitié représente la "bataille d'Hernani" et l'autre la salle du Vaudeville lors de la première de l'Etoile au Front; sur une plaque de cuivre, en bas du cadre, est gravée la réplique de Robert Desnos : "Nous sommes la claque et vous êtes la joue." Qu'est devenu ce tableau que Leiris disait avoir vu à Neuilly ?" (page 283).

Au moins, la description est précise. Je n'ai rien vu y ressemblant sur Internet. L'enquête s'annonce difficile. La toile ci-dessous vous donnera une idée du style d'Henri Zo. Ce sont les Folies Bergère et c'était il y a encore peu à vendre à la Papillon Galery de New York.


Roussel retrouvera Henri Zo en 1932. Il lui commandera les 59 illustrations des Nouvelles impressions d'Afrique. Caradec évoque une chemise dans laquelle ces dessins à l'encre de chine sont réunis mais sans préciser où elle est conservée (page 365). Rien à la Bnf. Mais peut-être ai-je mal cherché ou bien ces dessins sont-ils mal référencés.

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Raymond Roussel
par François Caradec
Editions Fayard 1997